Est-ce que le raccordement familial constitue un besoin courant de la famille au sens de l'art. 166 CC ?

La cliente a appelé plusieurs fois le prestataire pour demander l’inscription de son nom en plus de celui de son mari en tant que titulaire bénéficiant des mêmes droits concernant le numéro fixe familial. Le prestataire lui a affirmé qu'il n'était légalement pas autorisé à transmettre des informations relatives à ce numéro à toute personne autre qu'au titulaire du contrat. Il a ajouté que lors de la conclusion du contrat, il ne pouvait saisir le nom d’une seule personne comme étant titulaire du contrat. Cette personne aurait toutefois la possibilité de donner une procuration écrite à une autre personne, en l’occurence dans le cas d’espèce à la cliente. Se pose la question de savoir si la cliente est en droit d'obtenir les mêmes droits que son mari concernant leur raccordement familial.

PROPOSITION DE CONCILIATION

En date du 5 novembre 2015, Madame X (ci-après : la cliente) a déposé une demande de conciliation. Après examen de la demande et des documents qui nous ont été soumis, nous avons prié le prestataire concerné de nous faire parvenir sa prise de position. Au vu de cette prise de position et de la demande de conciliation, nous pouvons soumettre aux parties une proposition de conciliation.

La proposition de conciliation suivante prend en compte aussi bien les arguments du client que ceux du prestataire. Des motivations juridiques ne sont également avancées que si nécessaires. Seuls les points essentiels de la demande de conciliation et de la prise de position du prestataire seront pris en considération. L’ombudsman ne peut pas examiner les arguments des parties comme un tribunal le ferait.

A. EXPOSÉ DES FAITS SELON LA DEMANDE DE CONCILIATION

La cliente présente sa demande de conciliation comme suit:

"Il n'est pas normal que lorsque je téléphone pour avoir un simple renseignement concernant les tarifs de notre ligne téléphonique, ne figurant pas sur la facture, l'on refuse de me donner ce renseignement en me disant que ce sont des données privées et que seul mon mari peut les obtenir. Sinon je dois avoir sa procuration. Je ne comprends pas car cette ligne est familiale et non pas privée.

But : avoir les mêmes droits que mon mari et cela sans procuration."

B. PRISE DE POSITION DU PRESTATAIRE

Dans sa prise de position, Y (ci-après : le prestataire) s'exprime comme suit:

"Madame X a plusieurs fois appelé notre service clients pour demander l’inscription de son nom en plus de celui de son mari pour que les deux personnes soient titulaires du raccordement fixe 0xx xxx xx xx.

Comme nous l’avons confirmé dans notre lettre du 28 octobre, il n’est légalement pas possible qu’un numéro soit inscrit sous deux titulaires différents. Pour des raisons de protection des données, nous ne sommes autorisés à transmettre des informations relatives à la facture, au raccordement, etc. uniquement au titulaire du contrat.

Lors de la saisie d’un nouveau client, nous ne pouvons inscrire qu’un seul nom et prénom avec une seule date de naissance. Nous n’avons aucune possibilité de modifier les champs de saisie lors de l’établissement du contrat car ils sont prédéfinis.

Nous avons déjà indiqué à Madame X qu’elle peut nous fournir une procuration écrite qui confirme qu’elle est autorisée à demander des renseignements ou à faire des modifications sur le raccordement de son mari Z. Cette procuration doit être signée par Monsieur Z.

Les deux personnes peuvent s’inscrire dans l’annuaire téléphonique.

De plus, Monsieur Z peut transmettre à son épouse son login ainsi que son mot de passe pour qu’elle puisse consulter son Espace clients ; elle peut ainsi visualiser les factures, le détail des communications, faire des modifications de raccordement, commander de nouveaux services, etc."

C. CONDITIONS DE RECEVABILITÉ

Conformément à l'art. 12c de la Loi du 30 avril 1997 sur les télécommunications (LTC) (RS 784.10) et à l'art. 43 al. 1 de l'Ordonnance du 9 mars 2007 sur les services de télécommunication (OST) (RS 784.101.1), l'ombudscom, en qualité d'organe de conciliation, est compétent pour les litiges relevant du droit civil entre les client(e)s et les fournisseurs de services de télécommunications et les fournisseurs de services à valeur ajoutée. Les conditions de recevabilité pour la procédure de conciliation sont régies à l'art. 45 al. 2 OST ainsi qu'à l'art. 8 du Règlement de procédure et portant sur les émoluments de l'ombudscom. Les demandes de conciliation doivent être accompagnées du formulaire dûment rempli prévu à cet effet. La partie requérante doit rendre crédible avoir tenté, durant les 12 derniers mois, par écrit et sans succès, de chercher une solution amiable auprès de l'autre partie au litige. En outre, la requête en conciliation ne doit pas être déposée à des fins manifestement abusives et le différend en question ne doit pas être porté devant un tribunal ou un tribunal arbitral.

Par courrier du 17 octobre 2015, la cliente a demandé au prestataire que son raccordement fixe soit mis aux noms de son mari ainsi que d'elle-même et elle s'est plainte de ne pas avoir reçu d'informations de la part du prestataire, sous prétexte que le raccordement était au nom de son mari et que selon le prestataire, son mari était le seul en droit d'obtenir ses informations.

Par courrier du 28 octobre 2015, le prestataire a répondu qu'il n'était légalement pas possible qu'un numéro soit à deux noms, mais que si la cliente était en charge de la gestion du raccordement au nom de son mari, elle pouvait demander une reprise afin d'avoir accès à toutes les informations.

Les parties n'ont pas trouvé d'accord.

En l'espèce, la cliente a démontré de manière crédible avoir essayé de trouver un accord avec le prestataire, sans succès.

Ainsi, les conditions de recevabilité étant remplies, l'ombudsman est compétent pour traiter de l'affaire et tenter de trouver une solution amiable au différend qui lie les parties en cause.

D. CONSIDÉRATIONS DE L'OMBUDSMAN

1. Etat de fait et problématique

La cliente a appelé plusieurs fois le prestataire pour demander l’inscription de son nom en plus de celui de son mari en tant que titulaire bénéficiant des mêmes droits concernant le numéro fixe familial 0xx xxx xx xx. Le prestataire lui a affirmé qu'il n'était légalement pas autorisé à transmettre des informations relatives à ce numéro à toute personne autre qu'au titulaire du contrat, à savoir le mari de la cliente.

Se pose la question de savoir si la cliente est en droit d'obtenir les mêmes droits que son mari concernant leur raccordement familial.

2. Conclusion du contrat et principe de la liberté contractuelle

Selon l'art. 1 al. 1 CO, le contrat est parfait lorsque «les parties ont, réciproquement et d'une manière concordante, manifesté leur volonté». L'art. 2 al. 1 CO dispose en outre que le contrat est réputé conclu lorsque « les parties se sont mises d'accord sur tous les points essentiels ». La loi pose ainsi le principe que l'accord des parties doit porter sur les éléments essentiels de chaque type de convention pour que la conclusion d'un contrat puisse être retenue. Ces éléments sont contenus dans la définition légale de chaque contrat (ainsi à l'art. 184 CO pour la vente etc.). Pour les contrats innommés, à l'image du contrat de fourniture de services de télécommunication, l'accord doit porter au minimum sur les prestations que chaque partie doit fournir (Corinne Zellweger-Gutknecht / Eugen Bucher, in : Honsell/Vogt/Wiegand (édit.), Basler Kommentar – Obligationenrecht I, 6ème éd., Bâle 2015, art. 1 CO, no 23).

En l'absence d'un enregistrement de la discussion qui a précédé la conclusion du contrat concernant le numéro 0xx xxx xx xx entre le mari de la cliente et le prestataire, il est impossible de déterminer si le mari de la cliente avait été correctement renseigné qu'il serait le seul à bénéficier de tous les droits et obligations découlants de ce contrat, contrairement à sa femme, qui, n'étant pas partie au contrat, n'aurait aucun droit à faire valoir ni aucune obligation à respecter par rapport à ce contrat.

D'après les informations transmises par le prestataire, l'ombudsman constate que ce dernier a volontairement choisi d'accepter un seul titulaire par raccordement. En l'occurrence aussi concernant le contrat conclu entre le mari de la cliente et le prestataire. Dès lors, il n'existe aucun lien juridique entre le prestataire et la cliente.

Il ressort des documents mis à disposition par les parties que le cliente a demandé à être partie au contrat conclu entre son mari et le prestataire au même titre que son mari.

En vertu du principe de la liberté contractuelle, le prestataire est libre de conclure ou non un contrat avec la cliente. L'ombudsman n'est pas en mesure ni en droit de contraindre le prestataire à conclure un contrat avec la cliente.

L'ombudsman tient toutefois à préciser que vu le manque de lien juridique liant le prestataire à la cliente, aucune des parties à la présente procédure ne peut se prévaloir de prétentions quelconques sur la base du contrat entre le mari de la cliente et le prestataire.

Cela signifie que, d'après cette interprétation, le prestataire ne pourrait pas non plus obliger la cliente à payer les factures du raccordement familial. L'ombudsman est d'avis que cette situation n'est pas conforme à l'énoncé de l'art. 166 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (RS 210, ci-après : CC), qui vise à satisfaire les intérêts de l'union conjugale « en renforçant la position du conjoint représentant vis-à-vis des tiers, tout particulièrement la position du conjoint qui ne dispose d'aucun revenu propre » (Audrey Leuba in : Pichonnaz/Foëx (édit.), Commentaire romand – Code Civil I, Bâle 2010, art. 166 CC, no 2). A moins que le raccordement familial fixe ne soit pas considéré comme un besoin courant de la famille.

Dès lors se pose la question de savoir si le raccordement de téléphonie fixe représente un besoin courant de la famille au sens de l'art. 166 CC, ce qui permettrait à la cliente de représenter l'union conjugale auprès du prestataire, de jouir des mêmes droits ainsi que de devoir respecter les mêmes obligations que son mari face au prestataire.

3. Le raccordement de téléphonie fixe en tant que besoin courant de la famille

L'art. 166 CC a la teneur suivante :

«1. Chaque époux représente l’union conjugale pour les besoins courants de la famille pendant la vie commune.

  1. Au-delà des besoins courants de la famille, un époux ne représente l’union conjugale que:
  2. lorsqu’il y a été autorisé par son conjoint ou par le juge;

  3. lorsque l’affaire ne souffre aucun retard et que le conjoint est empêché par la maladie, l’absence ou d’autres causes sembla- bles de donner son consentement.

  4. Chaque époux s’oblige personnellement par ses actes et il oblige solidairement son conjoint en tant qu’il n’excède pas ses pouvoirs d’une manière reconnaissable pour les tiers. »

D'après l'art. 166 CC « chaque époux représente l'union conjugale pour les besoins courants de la famille pendant la vie commune ». Cet article s'applique à tout type d'acte juridique à condition qu'il soit licite et effectué dans l'intérêt de l'union conjugale. Il s'agit notamment de tous les actes servant les besoins de la famille, à savoir notamment les dépenses liées à l'alimentation ou à l'entretien du logement par exemple. En règle générale, ces actes causent des dépenses régulières et répétées. L'art. 166 CC représente une conséquence logique au contenu de l'art. 163 CC qui dit que « mari et femme contribuent, chacun selon ses facultés, à l'entretien convenable de la famille. »

L'ombudsman est d'avis que le raccordement fixe d'un logement de famille représente un besoin courant du ménage. En effet, un contrat de téléphonie fixe pour un logement familial constitue un acte licite servant les besoins de la famille et générant des dépenses mensuelles.

Dès lors, dans la mesure où les autres conditions de l'art. 166 CC sont remplies, la cliente devrait être en droit d'obtenir toute information relative au raccordement fixe ainsi que de porter une responsabilité solidaire envers le prestataire.

Les autres conditions mentionnées à l'art. 166 CC, que la cliente doit remplir afin de pouvoir représenter l'union conjugale concernant le raccordement fixe de la famille, sont les suivantes : 1) elle doit disposer de l'exercice des droits civils, 2) être mariée avec le titulaire du raccordement fixe et 3) faire vie commune avec ce dernier.

L'ombudsman ne dispose pas des documents nécessaires afin de déterminer avec certitude que la cliente remplit toutes les conditions mentionnées ci-dessus. Néanmoins, tout porte à croire que tel est le cas, étant donné qu'elle ne s'est pas faite représenter pour la procédure en cours, qu'elle demeure à la même adresse que le titulaire du raccordement fixe, à savoir son mari, et qu'elle a affirmé être mariée depuis de nombreuses années avec ce dernier.

4. Conclusion

En vertu du principe de la liberté contractuelle, l'ombudsman n'est pas en mesure de contraindre le prestataire à ajouter la cliente en tant que deuxième titulaire du raccordement fixe concernant le numéro 0xx xxx xx xx.

Néanmoins, en vertu de l'art. 166 CC, qui constitue une norme de droit impératif, l'ombudsman invite le prestataire à octroyer les mêmes droits et obligations à la cliente, notamment à lui fournir toute information liée au raccordement fixe, tels que par exemple l'extrait de compte ou le détail des factures, sans exiger de procuration de sa part.

E. PROPOSITION DE CONCILIATION

  1. Y autorise Madame X à faire usage de son pouvoir légal découlant de l'art. 166 CC et de représenter l'union conjugale pour tous les actes liés au contrat de téléphonie fixe conclu entre Y et Monsieur Z.
  2. Les parties acceptent la présente proposition de conciliation absolument sans contrainte.

Berne, le 11 décembre 2015

Dr Oliver Sidler
Ombudsman